la « double peine » des agriculteurs Enregistrer au format PDF

Lundi 6 mars 2017 — Dernier ajout mardi 7 mars 2017
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Point de vue

En fin de semaine dernière, dans une ferme des Côtes-d’Armor, le corps sans vie d’une éleveuse de 47 ans a été retrouvé dans sa salle de traite. Elle s’était donné la mort après avoir écrit une lettre, à l’intention de ses proches.

"Cet événement tragique nous rappelle le désarroi qui règne dans nos campagnes et pose question : quel est donc ce pays qui ne peut assurer la subsistance de ses agriculteurs ? Sommes-nous bien en France ? Sommes-nous bien dans le pays de la gastronomie et des 600 000 visiteurs du Salon de l’agriculture, preuve du soutien de nos concitoyens ? Alors que les familles et les politiques se pressent dans ses allées pour goûter et célébrer les bons produits bien de chez nous, la vérité du supermarché impose une autre réalité : le consommateur s’alimente à un prix qui ne permet pas à l’agriculteur de vivre.

Les agriculteurs français sont frappés par une double peine. Une crise économique d’abord, qui a des conséquences sur toutes les productions, les unes après les autres. Alors que nous produisons ici, en France et surtout dans l’Ouest, l’une des meilleures agricultures au monde, les agriculteurs ne peuvent plus vivre dignement de leur métier car le prix payé pour leur travail ne couvre même plus leurs charges.

Ils sont aussi frappés par une crise morale qui en rajoute aux difficultés. Initié par des militants « mals dans leur société » et relayé par des médias complaisants, l’agriculture bashing (critique violente et systématique des pratiques agricoles) est à la mode. Taiseux et isolé, l’agriculteur est une proie facile car il ne peut se défendre.

Nous, femmes et hommes de la terre, vivons très mal le peu de respect que ces personnes accordent à notre travail et à nos produits. Ces marchands de colère se permettent de poser un jugement dogmatique sur notre métier. Ils critiquent nos pratiques sans jamais avoir mis les pieds dans une exploitation agricole.

J’en appelle à tous les consommateurs. Ne nous dites plus jamais que vous soutenez l’agriculture locale si c’est pour acheter des produits alimentaires « made in ailleurs ». Les agriculteurs bretons, comme moi, vous garantissent une alimentation de qualité tous les jours dans votre assiette. Ils progressent sans cesse pour mieux répondre à l’évolution de vos attentes.

La meilleure reconnaissance de notre travail serait d’acheter nos produits au juste prix. Si quelques centimes supplémentaires ne sont pas grand-chose pour vous, sachez que pour nous, ils font toute la différence. Ils nous permettent de vivre, tout simplement, mais aussi d’investir dans nos exploitations, d’améliorer nos pratiques de culture et d’élevage afin de maintenir l’emploi dans les zones rurales, de préserver l’environnement, d’entretenir les paysages et de toujours mieux vous nourrir.

Nous avons pris l’engagement de faire bien plus que vous nourrir, vous avez le devoir de nous respecter. J’en appelle aujourd’hui à un sursaut de civisme ou peut-être d’humanité de la part de tous les acteurs de la filière.

Transformateurs, consommateurs et surtout distributeurs, vous avez une responsabilité historique vis-à-vis des agriculteurs. Vous avez le pouvoir de changer l’avenir par vos actes d’achats.

Je veux croire que nous saurons ensemble faire le pari de préserver notre agriculture familiale, le pari d’un avenir à dimension humaine, d’une agriculture de qualité, garantie d’une meilleure alimentation."

Danielle Even, agricultrice à Saint-Donan (Côtes-d’Armor), présidente du réseau Agriculteurs de Bretagne.

Source : Ouest France du 5 mars 2017

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