« Sur la Terre comme au Ciel… » Enregistrer au format PDF

Jeudi 30 novembre 2017
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Depuis le Vatican, le pape François s’est entretenu hier pendant vingt minutes avec les six astronautes de la Station spatiale internationale. L’occasion de se souvenir que, dans l’espace aussi, les astronautes prient… à leur manière.

« J’ai l’impression de voir la Terre avec les yeux de Dieu. » Depuis le cockpit de la Station spatiale internationale (ISS), le commandant américain de la Nasa Randy Bresnik répond en direct à une interview insolite : c’est le pape lui-même qui vient de lui poser une question depuis le Vatican. Comme Benoît XVI en 2011, François a été invité par la Nasa à s’entretenir hier pendant une vingtaine de minutes avec les six astronautes – deux Russes, un Italien et trois Américains – actuellement en mission sur l’ISS, très « curieux » de leur poser les questions que suscite une expérience aussi rare. « Que vous dit votre mission de la place de l’homme dans l’Univers ? Qu’est-ce qui vous a motivés à devenir astronautes et qu’est-ce qui vous donne de la joie, à bord ? Dans une société individualiste, pouvez-vous parler du sens de votre collaboration sur l’ISS ?… »

« À une vitesse de 10 kilomètres par seconde, on voit la Terre avec d’autres yeux, sans frontières, paisible, et cela nous parle de la nécessité de travailler ensemble à un avenir meilleur », lui a répondu sans naïveté Randy Bresnik. À ses côtés, l’Américain Mark Vande Hei, catholique très engagé, espérait depuis longtemps ce moment. C’est lui, entre autres, qui avait suggéré à la Nasa, qui propose occasionnellement pour le moral des astronautes d’entrer en communication avec des célébrités, le nom du pape François.

Pour lui, la conquête de l’espace a aussi un goût d’aventure spirituelle. Avant son départ, Mark Vande Hei, 49 ans, marié et père de deux enfants, s’est rendu dans sa paroisse pour une bénédiction spéciale. « Il avait le souci de pouvoir communier le dimanche, pendant les six mois qu’il passe dans l’espace. Je lui ai confié un ciboire avec le Saint-Sacrement afin qu’il puisse célébrer là-haut son office et prendre la communion, en lien avec sa communauté ici », raconte le père Wencil Pavlovsky (lire ci-dessous). Lui aussi impliqué dans l’aventure, le curé de la paroisse Saint-Paul à Nassau Bay a donc été invité hier avec le cardinal Daniel DiNardo, l’archevêque de Galveston-Houston au Texas, et les prêtres de la région à assister à la communication avec le pape devant les écrans du centre de contrôle de la Nasa à Houston.

Pour ces astronautes croyants, la foi se vit avec une intensité accrue dans l’espace. L’Américain Mike Hopkins a réalisé une mission sur la Station spatiale internationale en septembre 2013. Lui-même au long des six mois dans l’espace avait coutume de prier depuis la « coupole », cet habitacle de l’ISS dont plusieurs baies offrent une vue panoramique sur la Terre. « Dieu a été constamment présent dans mes pensées, bien plus que lorsque je suis sur Terre. C’est humain de s’en remettre à Dieu lorsqu’on traverse des moments de stress ou d’épreuve et, même si voyager dans l’espace est une expérience incroyable, on peut dire que cela relève des expériences de très haut stress », raconte à La Croix l’astronaute qui, lors de cette mission, a effectué deux sorties dans l’espace pour des opérations techniques. « J’avais besoin de me rappeler sans arrêt qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, pourvu que ma foi en Dieu fût forte. Ce qui était fabuleux, c’est que chaque fois que je regardais par la fenêtre cette incroyable planète que nous appelons la Maison, cela me rappelait la présence de Dieu. »

Alors que la Nasa permet aux astronautes d’emporter avec eux 1,5 kilo d’effets personnels, Sheikh Muszaphar Shukor, un astronaute malaisien envoyé sur l’ISS il y a dix ans pour une mission de onze jours, confie avoir pris avec lui un Coran offert par sa mère. Il était « le neuvième musulman à se rendre dans l’espace », rapporte-t-il avec fierté. Mais prier dans l’espace peut s’avérer plus compliqué que sur Terre… « C’était un défi qui n’avait pas été étudié auparavant. Par conséquent, il a fallu que les oulémas de différents pays se mettent d’accord. Avec une vitesse de 27 000 km par heure, le soleil se lève sur l’ISS toutes les 45 minutes, soit 16 fois par jour. Dans l’espace, on continue à prier cinq fois par jour, en s’alignant sur la base du pays de lancement : j’ai donc suivi l’heure du Kazakhstan », explique-t-il. Pour les ablutions propres à l’islam, l’eau étant « très précieuse et limitée », il raconte avoir utilisé le tayammum (les ablutions sèches). Et La Mecque ? « J’accomplissais mes prières en regardant vers la Terre. Il me fallait en revanche sangler mes pieds en raison de l’apesanteur », précise-t-il.

Le plus beau à ses yeux ? « Précisément le fait que la religion tout comme le pays d’origine ne comptent pas sur l’ISS », avance Sheikh Muszaphar Shukor, qui de retour sur Terre, a voulu poursuivre sa mission en s’engageant dans la lutte contre la pauvreté, la pollution, les abus commis sur les enfants…

Céline Hoyeau

La Croix 27 octobre 2017

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