Le prêtre vient de dire ou de chanter le récit de l’Institution. Il poursuit en invitant l’assemblée à proclamer le mystère de la foi. Nous sommes au cœur de la liturgie eucharistique : c’est l’anamnèse.
Faire mémoire
Un amnésique n’a pas de mémoire. Or, le Seigneur a dit au soir de la Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Faire mémoire, c’est empêcher l’amnésie, l’oubli du don que le Seigneur Jésus nous fait de sa vie. Le chrétien ne saurait être un oublieux des merveilles de Dieu. Faire mémoire, c’est s’appuyer sur un fait passé pour en célébrer l’actualisation, tout en annonçant son avenir. Ainsi l’anamnèse eucharistique s’appuie sur un fait passé (la mort et la Résurrection du Seigneur), en célèbre l’actualité (le Seigneur est vraiment Vivant et Présent) et en annonce l’avenir (la venue du Seigneur dans la gloire à la fin des temps).
Une acclamation paradoxale
Le Seigneur vient de se rendre présent à l’assemblée sous la forme du pain et du vin consacrés, et la liturgie nous fait aussitôt demander : « Viens, Seigneur Jésus ! » Si nous croyons qu’il est vraiment là, pourquoi lui demander de venir ? Parce que la foi est une dynamique, une dynamique de l’attente active du Seigneur, de la vigilance : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées » (Lc 12, 35). Le croyant désire la plénitude de la présence du Seigneur qu’il a déjà dans l’eucharistie, mais de façon mystérieuse et cachée. Se contenter de cette présence nierait la promesse du Seigneur qu’il « viendra dans la gloire » et réduirait l’objet de notre foi à ses seuls prémices. La dynamique de la foi fait de notre vie une marche à la suite du Christ, dans laquelle l’Eucharistie est le pain pour la route. C’est ce que l’anamnèse annonce et célèbre.
Quelle anamnèse proclamer ?
Il s’agit pour nous, par fidélité à la mémoire du Seigneur, de proclamer avec exactitude le mystère de la foi. Quelques critères simples aideront à bien choisir. Tout d’abord, l’anamnèse s’adresse au Christ de manière directe : « Gloire à toi… Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité. » L’anamnèse ne parle pas du Christ, n’en raconte pas l’histoire ; elle s’adresse à Lui, elle Lui parle. « Christ est venu, Christ est né » n’est donc pas une anamnèse puisqu’ elle ne s’adresse pas au Christ et, qui plus est, s’achève par « Christ est là ! », nous ramenant au présent immédiat au lieu de nous ouvrir au désir de la venue, à l’avenir et donc à l’espérance.
Ensuite, les trois composantes de l’anamnèse ont une raison d’être : mémoire du passé (« Gloire à toi qui étais mort ») pour affirmer le présent (« Gloire à toi qui es vivant ») et ouvrir à l’espérance (« Viens, Seigneur Jésus »). Il nous faut donc avoir le courage, sans pour autant culpabiliser, de supprimer de nos répertoires ces anamnèses qui ne respectent ni l’adresse au Christ, ni le triple contenu. C’est la foi de nos assemblées qui est en jeu. Cependant, d’autres anamnèses qui respectent bien les critères énoncés, elles sont acceptables.
Reste enfin une question. Comment se fait-il qu’un certain nombre d’anamnèses ne comportent pas l’invitatoire du célébrant : « Il est grand le mystère de la foi » ou « Proclamons le mystère de la foi » ? Il conviendrait d’y remédier parce que l’anamnèse est l’axe autour duquel tournent les différentes composantes de l’eucharistie et même de toute la vie de foi. Nous risquerions, à l’oublier, de devenir des oublieux de notre foi et donc des amnésiques.